Plantons des haies
Les haies sont souvent composées d’une variété d’espèces végétales (arbres, arbustes, arbrisseaux, lianes…) selon les régions et le relief. Elles cadrent les potagers, dans les rues de la ville des haies de toutes sortes se dressent entre les maisons et encadrent chaque petit jardin. Les sentiers serpentent souvent le long d’une haie, chaque route en est bordée à tel point qu’il est presque impossible de se promener sans être entouré de verdure. Les haies parsèment le paysage de leur verdure en forme de guirlandes. Les haies présentent de nombreux avantages : elles servent à délimiter les terrains, à confiner et à protéger le bétail, à fournir du bois de chauffage.
Mais c’est surtout le niveau d’intervention humaine qui les distingue. D’un côté, il y a le mur impénétrable de « béton vert » fait d’une seule espèce (comme les aucubas, les thuyas, les cyprès…) fréquemment taillé, et de l’autre, le bocage foisonnant où se mêlent mille espèces locales entretenues de manière raisonnable. Il n’y a aucune similitude entre la première catégorie, la haie de jardin monospécifique, et la seconde, la haie naturelle ou sauvage, caractéristique du bocage. La seule chose qu’elles ont en commun est leur rôle de clôture végétale vivante. C’est cette deuxième catégorie qui va nous intéresser ici, celle oubliée du paysage, éclipsée du regard, la parente démunie des jardins et des forêts. Bien que riches en écosystème, les haies ont longtemps été ignorées.
Une situation préoccupante pour les haies
Elles ont disparu du décor. Il faut dire que les haies n’ont jamais été de grandes stars. Reléguées aux marges des parcelles, le long des chemins et des routes, entre les champs cultivés et les bois, les haies n’attirent guère l’attention. Les promeneurs passent à côté des rangées végétales sans vraiment les remarquer, qu’elles soient hautes, denses ou bien entretenues.
En avril 2023, le ministère de l’Agriculture a publié un rapport alarmant révélant la disparition annuelle de milliers de kilomètres de haies dans le paysage français. Ce phénomène s’aggrave au fil du temps : la perte est passée de 10 400 km par an en moyenne entre 2006 et 2014 à 23 500 km par an entre 2017 et 2021. Depuis 1950, 70 % des haies sauvages ont disparu en France, représentant ainsi 1,4 million de kilomètres de bordures végétales. Notamment pour permettre le passage d’engins agricoles de plus en plus larges, les champs ont dû être agrandis, entraînant ainsi la destruction des haies sur de longues distances, mais également le développement de l’usage de la voiture a conduit au goudronnage des sentiers, entraînant la disparition de la végétation qui les bordait. De nombreux chemins reliant les prairies aux champs ont également été effacés, notamment à cause du remembrement, décidé sans tenir compte des réalités du terrain.
La symbolique des haies
Au-delà de leur indéniable nécessité écologique, les haies renferment un trésor. Ces compagnes de nos chemins, accessibles depuis toujours, tissent un lien intime avec nous. La proximité qu’elles offrent, l’intimité qu’elles évoquent, et la nostalgie d’une culture partagée. Une haie matérialise bien plus qu’une simple frontière physique entre deux parcelles ou propriétés. Les haies, qu’elles soient une, plusieurs, ou toutes, doivent être prises au sérieux : elles représentent une rangée d’arbres et d’arbustes spécifiques, emblématiques d’un paysage bocager. Elle incarne également une frontière symbolique, remettant en question des oppositions établies de longue date : sauvage et domestiqué, extérieur et intérieur, propreté et saleté, art et science, ordre et désordre. La haie se trouve au cœur de ces dualités, brouillant les frontières et défiant nos perceptions. Et il y a la notion de la haie, un concept crucial pour aborder la crise écologique.
Dans les endroits où la nature déploie son art, la haie se présente comme son disciple, un outil d’une rare précision. À la fois architectes et artistes, les haies organisent, harmonisent et fusionnent les divers espaces pour créer une cohérence. Elles tissent un lien indissociable entre le domaine domestiqué du jardin et le monde indompté de la nature.
Les habitants de la haie
La haie est vivante : partout, les abeilles butinent, des bourdons explorent les fleurs de passiflore, un moineau se cache tandis qu’un rouge-gorge s’éclipse à tire-d’aile au cœur de la végétation. Des scarabées et de multiples mouches sans oublier les animaux invisibles.
Ce qui est remarquable lorsqu’on contemple une haie, c’est la façon dont les mouvements de la vie semblent palpables à notre échelle humaine. On ne se contente pas d’observer une simple fleur, des excréments, un nid ou des insectes. On découvre plutôt un spectacle vivant : un groupe de butineurs s’attaquant à un corymbe de cornouiller, des bousiers bleu irisé se disputent les déjections laissées par un chevreuil, une poignée de jeunes rouges-gorges serrés les uns contre les autres dans un nid fait de brindilles et de matériaux douillets, ainsi que deux vulcains en train de se courtiser au-dessus du lierre.
Les haies, par leur densité et leur diversité en termes de faune et de flore, créent un environnement qui évoque une maison, un territoire grouillant d’activités où se mêlent diverses populations. Elles ne sont pas simplement des murs, mais des écosystèmes à part entière. Comme l’a observé Aristote dans sa philosophie, la nature ne laisse aucun espace inoccupé : toute parcelle disponible est exploitée par le vivant. Les graines, spores et autres propagules dispersées par le vent ou les animaux colonisent les haies, commençant par des plantes pionnières qui préparent le terrain, suivies rapidement par d’autres végétaux et animaux qui peuplent l’espace, donnant ainsi vie au mur végétal. Lorsqu’un vide se crée, que ce soit dans un écosystème perturbé ou à la suite d’un phénomène naturel comme un incendie ou une tempête, les forestiers, moins enclins à philosopher sur le sujet, décrivent cela comme une régénération naturelle. Cependant, le résultat est là : là où l’œil humain voit simplement un mur, se trouve en réalité un royaume en constante évolution, animé d’une vie foisonnante qui change au fil des saisons, des jours et même des heures. Les frontières de ce royaume s’étendent d’année en année, peuplées d’une multitude de créatures rampantes ou volantes. Ces murs sont animés. Cela change tout.
En raison de leur incroyable diversité, les haies offrent un terrain d’expérimentation écologique exceptionnel. Des naturalistes britanniques ont observé la présence de 2 070 espèces vivantes sur une distance de 90 mètres de haie : parmi elles, on compte 1 700 espèces d’insectes, une trentaine d’escargots, 50 araignées, 120 plantes, 80 champignons et lichens, ainsi qu’une cinquantaine de vertébrés, comprenant hérissons, crapauds, belettes, lapins, loirs et de nombreux oiseaux.
L’importance des haies
Une clôture végétale, par sa fonction première, délimite ce qui se trouve hors du champ. Les jardiniers, eux, s’occupent des talus et des bordures en prenant soin des êtres qui y habitent, même s’ils peuvent sembler insignifiants.
Bien que les haies servent à délimiter les espaces, elles créent également des liens entre les êtres vivants. Dans les jardins partagés, elles peuvent me séparer visuellement du jardinier qui travaille de l’autre côté, mais elles m’ouvrent également à un autre monde, à d’autres espèces, à une autre perception de l’existence. Elles ne sont pas de simples murs d’arrêt, mais des passages vers des lieux de vie. Des êtres vivent, prospèrent et rendent service. Les humains en tirent profit en utilisant le bois, les fourrages, en chassant et en cueillant des baies, et en retour, ils protègent, taillent, recèpent et réparent les haies. Parfois, ils se retrouvent en conflit avec elles. C’est cette dualité de la haie, à la fois muraille et milieu, qui lui confère ce statut particulier. Elle est familière avec les confins, les limites, les extrémités, la haie. C’est là qu’elle se trouve toujours, reléguée à la lisière ou en bordure, à la périphérie ou à la fin d’une parcelle. Elle lie les mondes. À la fois frontière, seuil, lieu de vie et de passage, elle agit comme un tampon, facilitant la transition et fluidifiant le paysage. La haie se trouve à la jonction des milieux qu’elle sépare, une position intermédiaire qui en fait un écotone, condensant les biodiversités respectives des deux espaces adjacents. Ainsi, la haie dévoile sa double nature : à la fois délimitation et délimitée. Elle répond à un besoin social essentiel de repères et de limites, mais reste insaisissable à l’emprise totale de l’homme.
Des haies pour plus d’écologie
Sur le plan écologique, le bocage représente le meilleur moyen de lutter contre la fragmentation de l’habitat des espèces non humaines, conséquence de la construction des routes, lotissements, usines et autres infrastructures humaines qui, en proliférant dans le paysage, coupent les liens physiques essentiels à la survie de la flore et de la faune. Les haies déploient tout leur potentiel lorsque, tissées ensemble en un réseau boisé, elles créent des « corridors biologiques » permettant aux animaux de se déplacer d’un espace à un autre en toute discrétion et sécurité. L’exemple flagrant de l’A69 démontre que la construction d’une autoroute ne se traduit pas uniquement par l’abattage massif d’arbres ; elle fragmente un territoire et rend potentiellement inaccessibles des points d’eau. Individuellement, ces îlots de béton semblent anodins, mais à long terme, ces trous des écosystèmes par les activités humaines fragilise notre monde. Cette destruction, moins spectaculaire que le bétonnage d’un jardin ou l’assèchement d’un marais, n’en demeure pas moins catastrophique, constituant l’une des principales menaces pour la biodiversité mondiale. Et c’est là que la haie révèle son quadruple rôle de refuge, lieu de rencontre, nurserie et garde-manger pour une faune allant du cloporte au cerf, du campagnol roussâtre à la perdrix grise, du crapaud commun à la libellule, du carabe à la couleuvre verte et jaune…
Création d'une haie
Pour des haies à la fois esthétiques et écologiques :
Haie mixte pour la biodiversité :
- Chèvrefeuille (Lonicera) : attire les pollinisateurs avec ses fleurs parfumées.
- Fusain (Euonymus) : offre un feuillage dense et abrite les petits oiseaux.
- Cornouiller sanguin (Cornus sanguinea) : apporte de la couleur avec ses feuilles rouges en automne et produit des baies appréciées des oiseaux.
- Framboisier (Rubus) : fournit des fruits pour les humains et les animaux.
Haie fruitière :
- Groseillier (Ribes) : produit des baies rouges, blanches ou noires selon les variétés, attirant les oiseaux.
- Framboisier (Rubus idaeus) : fournit des fruits pour les humains et les animaux.
- Cognassier (Cydonia oblonga) : offre des fruits parfumés à l'automne.
- Aubépine (Crataegus) : attire les insectes pollinisateurs et produit des baies rouges ou noires.
Haie mellifère :
- Buddleia (Buddleja) : également connue sous le nom d'arbre à papillons, elle attire les papillons et les abeilles avec ses fleurs nectarifères.
- Lavande (Lavandula) : résistante à la sécheresse et attire les abeilles.
- Sarriette (Satureja) : produit des fleurs qui attirent les pollinisateurs.
- Thym (Thymus) : offre un feuillage aromatique et des fleurs riches en nectar.
Haie de feuillus indigènes :
- Chêne (Quercus) : favorise la biodiversité et offre des glands pour les animaux.
- Hêtre (Fagus) : fournit un feuillage dense et persistant.
- Érable (Acer) : attire les insectes et offre une belle coloration automnale.
- Frêne (Fraxinus) : abrite les oiseaux et offre une belle couleur d'automne.
Haie pour les petits espaces :
- Buisson ardant (Pyracantha) : produit des baies rouges ou orange vif en automne.
- Buis (Buxus) : offre une structure dense et peut être taillé pour former des formes décoratives.
- Oranger du Mexique (Choisya ternata) : offre des feuilles persistantes et des fleurs parfumées.
- Troène (Ligustrum) : résistant et adaptable à différentes conditions de sol et de lumière.
Assurez-vous de choisir des plantes adaptées à votre climat et à vos conditions de sol pour obtenir les meilleurs résultats.
Entretien de la haie
Attention à l’introduction de produits chimiques à proximité, la mécanisation croissante des techniques de taille et le manque de remplacement des arbres et arbustes morts exercent une pression considérable sur les haies. De nombreuses haies naturelles qui souffrent d’un sol appauvri, de la pollution et de la sécheresse, ne demandent qu’à être mieux entretenues et cultivées plus attentivement.
Les pollinisateurs et les oiseaux jouent un rôle crucial : sans eux, pas de haie, pas d’écosystème sain. Par exemple, en consommant des prunelles, le merle favorise la germination des graines d’épine noire contenues dans ses excréments. De même, le bourdon, en butinant le chardon avec ses poils chargés de pollen, assure la fécondation d’autres plantes. Près de 90 % des plantes à fleurs dans le monde dépendent en partie de la pollinisation par les insectes, ce qui inclut les fruits et les graines que nous consommons. Environ 35 % de la production agricole mondiale est directement liée à leur travail. Ainsi, plutôt que de les rémunérer en pesticides, il serait avisé de suivre la recommandation et de nous efforcer de créer et de sécuriser ces espaces.
Les haies jouent plusieurs rôles cruciaux dans l'écosystème. Elles servent de corridors biologiques, fournissant un habitat et un passage sûr pour une variété d'espèces sauvages. De plus, elles contribuent à la biodiversité en abritant une grande diversité de plantes, d'insectes, d'oiseaux et d'autres animaux. Les haies aident également à protéger les sols contre l'érosion, à réguler les flux d'eau et à filtrer les polluants atmosphériques.
La disparition des haies en France est due principalement à l'expansion de l'agriculture intensive et à l'urbanisation croissante. Les besoins en terres agricoles et en espaces urbains ont conduit à l'abattage massif des haies pour agrandir les champs et construire des infrastructures. Ce phénomène est accentué par la mécanisation agricole et le manque d'entretien des haies existantes.
Les haies mixtes, composées de différentes espèces végétales, offrent une biodiversité plus riche que les haies mono-espèces. Elles attirent une plus grande variété d'insectes pollinisateurs et d'oiseaux, favorisent la régénération naturelle des écosystèmes et offrent une meilleure résilience aux maladies et aux parasites.
Il est essentiel d'éviter l'utilisation de produits chimiques à proximité des haies, car ils peuvent contaminer le sol et nuire à la faune et à la flore. L'entretien de la haie doit se faire de manière écologique, en privilégiant la taille manuelle et en remplaçant les plantes mortes par de nouvelles. Il est également important de préserver les pollinisateurs et les oiseaux en créant un environnement favorable à leur survie.
Pour favoriser la biodiversité, il est conseillé de planter des haies mixtes comprenant une variété d'espèces telles que le chèvrefeuille, le fusain, le cornouiller sanguin, le framboisier, le groseillier, l'aubépine, le buddleia, la lavande, le chêne, le hêtre, le buisson ardant, etc. Il est important de choisir des plantes adaptées au climat et aux conditions du sol de votre région.
Les haies agissent comme des corridors biologiques en reliant différents habitats naturels. Elles permettent aux espèces de se déplacer d'un endroit à un autre en toute sécurité, favorisant ainsi la dispersion des populations et la diversité génétique. En créant des corridors biologiques, les haies contribuent à réduire la fragmentation de l'habitat et à préserver la biodiversité.
Sources : Éloge de la haie, pour un désordre végétal, sonia feertchak -